18 mars 2011
Par Arnaud Theurillat-Cloutier, Martin Robert et Ariane Aubin-Cloutier
1 625 $ de plus pour une année universitaire, 4 875 $ de plus pour un baccalauréat. Voilà ce que le gouvernement impose aux universitaires, du moins à ceux et celles qui peuvent encore se permettre de l’être. Répartie sur cinq ans, la hausse des frais de scolarité fera presque doubler le coût d’une année scolaire. Tendant une main de bon Samaritain pour mieux frapper de l’autre, le Ministre des Finances, Raymond Bachand, s’est voulu rassurant : l’Aide financière aux études (AFE) sera légèrement bonifiée...
Suite à la batterie de tarifications annoncées dans le dernier exercice financier, le budget du Québec 2011 n’avait plus grande surprise à dévoiler. Le sort des frais de scolarité était connu, mais le chiffre devait encore être précisé. Après une croissance de 30 % entre 2007 et 2012, les frais de scolarité vont maintenant subir une hausse de 325 $ sur cinq ans, faisant passer le coût d’une année universitaire de 2168 $ à 3793 $. Cette mesure ne prend cependant pas en compte l’augmentation potentielle des frais institutionnels obligatoires, montants qui varient selon les universités. Selon les calculs de la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ), la facture universitaire totale, incluant ces frais supplémentaires, devrait atteindre annuellement 4 700 $ au terme de ce processus.
M. Bachand vise ainsi à ce que la facture étudiante revienne à son équivalent de 1968. Le ministre cherche à « récupérer » l’argent soi-disant perdu suite aux nombreuses années de gel des frais, comme si cette politique n’avait été qu’un gaspillage d’une époque où on aurait vécu au-dessus de ses moyens. Or, cet argent n’a pas été volé par des générations d’universitaires : un choix social a été fait, celui de diminuer la facture individuelle pour faire reposer le financement universitaire sur l’ensemble de la collectivité par le biais des impôts. Le gel des frais n’était pas une « erreur », ni même une finalité ; c’est ce qui a permis une graduelle démocratisation de l’éducation, ouvrant toujours un peu plus l’université à des jeunes qui n’auraient jamais espéré étudier dans d’autres circonstances. De surcroît, le ministre refuse à dessein de reconnaître que ce maintien des frais à un niveau fixe pendant 33 ans a principalement été l’acquis d’une lutte constante du mouvement étudiant pour améliorer l’accessibilité aux études, réclamant plus souvent qu’autrement l’abolition pure et simple des barrières financières aux études.
Selon les dires du ministre, ce simple « ajustement » ne sera aucunement néfaste puisque « rien ne permet d’établir un lien entre le taux de fréquentation universitaire et le montant des droits de scolarité ». Si cette corrélation est peut-être erronée, ce qui est loin de faire l’unanimité, il en reste que, d’autre part, la composition de la communauté étudiante sera inévitablement bouleversée par la hausse des frais de scolarité. La participation aux études des jeunes provenant des familles à faible ou à moyen revenu sera sans aucun doute gravement atteinte, et ce, même si la population étudiante restait sensiblement identique en terme nominal.
Pour faire avaler la pilule
M. Bachand s’est fait charitable, question de mieux masquer la violence de sa nouvelle fracture universitaire. En injectant 118 millions de dollars en AFE, le ministre pense préserver l’accessibilité aux études pour les « moins nanti-e-s ». La plus grosse partie de cette somme, soit 86 millions, sera dévolue aux bénéficiaires de bourses, donc ceux et celles qui ont déjà atteint le maximum d’endettement. Cette fraction de l’investissement, si elle devrait permettre de ne pas alourdir l’endettement déjà inacceptable de ces bénéficiaires, n’en améliorera cependant pas la condition. Quant à ceux et celles qui ne bénéficient pas de bourses, ils et elles auront droit à des prêts supplémentaires, alourdissant leur dette d’étude.
Feignant d’être à l’écoute des étudiants et étudiantes, le Ministre des Finances a procédé à une légère amélioration du régime d’AFE par la réduction de la « contribution » des parents et des conjoints, considérée dans le calcul des allocations. Aucune somme ne sera demandée de la part d’un couple dont le revenu est inférieur à 35 000 $. Pour les familles monoparentales, ce montant est fixé à 30 000 $ et pour les conjoints à 28 000 $. Cette dite amélioration ne répond même pas aux maigres demandes de la FEUQ et de la Fédération étudiante collégiales du Québec (FECQ) desquelles elle devait se faire l’écho, et est évidemment loin de satisfaire la revendication de l’ASSÉ qui réclame l’abolition pure et simple de cette « contribution ». Rappelons aussi que les prestations du régime d’AFE n’ont pas été ajustées au coût de la vie pendant plusieurs années, créant un manque à gagner évalué en 2011 à 61 millions de dollars selon le Comité consultatif sur l’AFE (CCAFE).
Même en tenant compte de ces faibles mesures dites compensatoires, l’AFE restera un système d’endettement, tandis que la facture étudiante deviendra encore plus discriminatoire. Le gouvernement tente en vain de nous aveugler en faisant siennes les valeurs « d’équité » et « d’égalité des chances », qu’il vide de leur contenu. Notre lecture n’en perd pas son acuité : cette attaque au droit à l’éducation est la plus brutale de l’histoire du Québec. Elle exige de nous une réplique prompte et organisée, car, être résigné, c’est consentir à l’injustice.
Restreindre son discours à la hausse de frais de scolarité présentée jeudi dernier par Raymond Bachand serait une grave erreur pour le mouvement étudiant. L’attaque à l’éducation est beaucoup plus large et profonde. Au point où le mot éducation ne servira bientôt qu’à désigner un maillon d’un vaste dispositif financier : l’économie du savoir. Écoutons le Ministre des Finances, dans son discours sur le budget : « L’éducation n’est pas subordonnée à l’économie. Elle se justifie en soi, par le développement humain qu’elle permet à tous et à chacun. Cela étant, le lien n’est plus à établir entre le niveau d’instruction, la productivité et la création de richesse. » Autrement dit, pour le Ministre des Finances, l’éducation ne serait pas une question économique. Mais ne nous inquiétons pas, car le gouvernement Charest s’attèle à régler rapidement ce fâcheux gaspillage.
Fonds « Placement universités »
Le budget 2011-2012 annonce la création de « Placements Universités, une initiative du gouvernement qui récompensera encore davantage la croissance des dons privés aux universités. » Ce nouveau fond budgétaire public comporte deux volets.
Premièrement, un programme existe déjà pour encourager les dons privés aux universités provenant d’entreprises ou de particuliers. Ainsi, le gouvernement investi 0,25$ pour chaque dollar de dons privés perçu par une université. Jusqu’à présent, les investissements du gouvernement étaient toutefois limités à un million de dollars par établissement et à dix millions de dollars au total au Québec. Ce plafond est aboli par le budget 2011-2012. Pour les universités, donc, la meilleure manière de recevoir davantage de financement public sera désormais de solliciter de nouveaux dons privés.
Deuxièmement, le Ministre des Finances demande à chaque université d’augmenter de 8% son financement tiré de dons privés. En contrepartie, pour chaque dollar investi par le secteur privé dans une université, le gouvernement investira le même montant . Autrement dit, le programme d’incitation gouvernemental aux dons privés est maintenu et bonifié. Toutefois, ces dons privés ne sont soumis à aucun contrôle gouvernemental. Les donateurs privés pourront donc imposer les conditions qui leur plaisent en échange de leurs fonds. Le gouvernement ne fera que doubler la mise, les yeux fermés, avec de l’argent public. Autre avantage pour les donateurs privés : ces dons seront compensés par des crédits d’impôts – comme tous les dons de « charité ».
Récapitulons. Les universités manquent de fonds pour tout ce qui n’est pas recherche et infrastructures (l’enseignement, les services à la population étudiante, etc.). Le gouvernement leur propose de l’argent neuf, à condition qu’elles sollicitent des dons privés, en plus de leur demander d’augmenter ces dons à hauteur de 8%. Forcément, nous verrons donc les universités dépendre de plus en plus de la générosité des riches et des entreprises. Ces derniers et dernières, en plus d’économiser sur leur impôt en donnant aux universités, en contrôleront largement le devenir. Pour le dire simplement : l’université est mise à la merci de la communauté d’affaires, aux frais des contribuables.
Partenariats gouvernement-universités
Les universités seront désormais assujetties à un partenariat obligatoire avec le gouvernement, pour le contrôle serré de leur budget. Précisément : le Ministère des Finances conclura, avec chaque établissement, un partenariat visant à l’augmentation de la performance universitaire. Qu’est-ce que la performance universitaire ? Tout ce que le Ministère des Finances voudra bien dicter aux universités : « Les universités seront tenues de respecter des cibles de performance préétablies au niveau de la qualité de la formation, des services aux étudiants, du taux de diplomation et de l’intensification de leurs activités de recherche. » Par ailleurs, les universités seront forcées d’atteindre le déficit zéro d’ici deux ans, et auront quinze ans pour rembourser entièrement leur déficit cumulé (la somme des déficits annuels, accumulés depuis plus de six ans). Or, depuis 2005, le déficit annuel total des universités québécoises est immanquablement de plusieurs dizaines de millions de dollars. Leur déficit cumulé total, quant à lui, s’élevait à 483 millions de dollars en 2009.
Rappelons que le gouvernement impose déjà aux universités des coupures de 10% dans leurs dépenses administratives et de 25% dans leurs dépenses de formation et de déplacement, en vertu du budget de l’année dernière. Après des coupures aussi draconiennes, comment espérer qu’elles puissent désormais revenir à l’équilibre budgétaire en deux ans, puis économiser suffisamment pour rembourser à chaque année des dizaines de millions par année en vue du remboursement de leur dette cumulative d’ici 15 ans ? Si une telle acrobatie comptable est possible, elle impliquera forcément de jeter par-dessus bord tout ce qui n’est pas immédiatement rentable entre les murs des universités.
Le gouffre
Une fois passées au hachoir du budget 2011-2012, les universités ne seront plus des lieux de pensée. Elles seront des lieux de production et de rentabilisation. C’est à se demander pourquoi les libéraux ne les ont pas déjà rebaptisées les « entreprises de savoir ». Le gouvernement leur agrippe une main, les donateurs privés agrippent l’autre, et ensemble ils conduisent l’université vers l’économie globalisée, à laquelle ils l’enchaînent.
Soyons plus rapides qu’eux. Enchaînons les portes des universités et des cégeps, entrons en grève, c’est notre seule chance de stopper la transformation de nos cerveaux en tirelires. Économie du savoir ou éducation, notre génération doit faire son choix, qui sera celui du Québec de demain.
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